La poésie n’est au service de rien, rien n’est à son service. Elle ne
donne pas d’ordre et elle n’en reçoit pas. Elle ne résiste pas, elle
existe -- c’est ainsi qu’elle s’oppose, ou mieux : qu’elle s’appose et
signale tout ce qui est contraire à la dignité, à la décence. À tout ce
qui est contraire aux beautés relationnelles du vivant. Quand un
inacceptable surgissait quelque part, Edouard Glissant m’appelait pour
me dire : « On ne peut pas laisser passer cela ! » Il appuyait sur le «
on ne peut pas ». C’était pour moi toujours étrange. Nous ne disposions
d’aucun pouvoir. Nous n’étions reliés à aucune puissance. Nous n’avions
que la ferveur de nos indignations. C’est pourtant sur cette fragilité,
pour le moins tremblante, qu’il fondait son droit et son devoir
d’intervention. Il se réclamait de cette instance où se tiennent les
poètes et les beaux êtres humains. Je ne suis pas poète, mais, face à la
situation faite aux migrants sur toutes les rives du monde, j’ai
imaginé qu’Edouard Glissant m’avait appelé, comme m’ont appelé quelques
amies très vigilantes. Cette déclaration ne saurait agir sur la barbarie
des frontières et sur les crimes qui s’y commettent. Elle ne sert qu’à
esquisser en nous la voie d’un autre imaginaire du monde. Ce n’est pas
grand-chose. C’est juste une lueur destinée aux hygiènes de l’esprit.
Peut-être, une de ces lucioles pour la moindre desquelles Pier Paolo
Pasolini aurait donné sa vie
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